Le Mexique dans un miroir : les ex-voto de San Juan de los Lagos (1870 - 1945)


Le culte marial au Mexique

"[...] cada flor brotada en aquel monte, estaba diciendo, María y todas juntas la bondad de la tierra: leche como en madre, miel como en piadosa, que todo lo hay en María y para que viendo señas tan prodigiosas se aficionasen todos, y deseasen ya la habitación de María en la tierra de Guadalupe".


                                                 Miguel Sánchez


De Tonantzin à la Vierge Marie? Même s’il n’est pas faux, le raccourci est réducteur. Il ne prend pas assez en compte tout le travail évangélisateur, acculturateur conduit par l’Église, d’abord les franciscains, ensuite les jésuites. Il est ici important de souligner que ces deux ordres religieux furent les fervents partisans de l’Immaculée Conception de la Vierge. Ce raccourci oublie d’autre part le grand élan marial qui emporte l’Occident dès les XIe-XIIe siècles, et auquel participe l’Espagne de la reconquête.

Faut-il, dans ce contexte, accorder une place à part à N.D. de Guadalupe? Bien sûr, il y a toutes les ambiguités de ses origines, liées au Tepeyac et ses cultes antérieurs. Mais jusque vers le milieu du XVIIe siècle (voire les années 1737), rien ne distingue fondamentalement cette image des autres (N.D. de los Remedios, en particulier). L’essor du mouvement immaculiste, parti de Séville vers 1615 va déferler sur l’Amérique dans les années qui suivent: N.D. de Copacabana, de San Juan de los Lagos, voire de Talpa, se révèlent au grand jour à cette occasion. La première fortune de N.D. de Guadalupe, une immaculée elle aussi, est liée à la publication en 1648 du livre de Miguel Sánchez, Imagen de la Virgen Maria madre de Dios de Guadalupe. D’autres ouvrages suivront, qui amplifieront encore la renommée.

Même avec des racines indigènes, ce culte marial est très vite intégré dans le moule hispanique, et progressivement, aux XVIIe-XVIIIe siècles il est détourné au profit de groupes créoles qui construisent leur identité: N.D. de Yzamal pour ceux de Merida, N.D. de Zapopan pour les tapatíos, N.D. de San Juan pour tous les neogallegos, et surtout N.D. de Guadalupe pour Mexico, puis l’ensemble du Mexique. Elle peut même faire jeu égal, dans l’Occident du pays, avec la Vierge de San Juan.

Mais la Vierge n’est pas seulement au cœur d’une construction identitaire. Parallèlement elle façonne la religion sensible, charnelle dans laquelle plonge tout un univers (voir l’exergue de M. Sánchez). Elle étend son manteau protecteur contre les pires fléaux, comme le matlazahuatl de 1737.

Aussi le culte marial résiste vigoureusement à l’hostilité de l’Église éclairée du XVIIIe, qui y voit beaucoup de vestiges de superstitions. La victoire de l’Indépendance en 1826 sera aussi celle, définitive, d’une Vierge sur l’autre, de N.D. de Guadalupe sur celle de los Remedios. Mais défaite ne signifie pas disparition : il y aura simplement recomposition des rôles. N.D. de Guadalupe affirme ses vertus nationales –voire revendicatrices, avec Hidalgo, puis Zapata et ses paysans– N.D. de los Remedios se limite à un rôle plus traditionnel, elle n’aura plus qu’à faire des miracles et engranger des ex-voto. Yzamal, Ocotlan, San Juan de los Lagos voient leur influence évoluer selon les pulsions de l’histoire régionale à laquelle elles appartiennent. Aujourd’hui, les flots migratoires étendent l’irradiation de ces sanctuaires (surtout pour celui de San Juan) jusque «del otro lado». Derrière tout geste votif, pour individuel qu’il soit, il y a un passé complexe, que le fidèle devine à peine. Mais il y adhère fortement, peut-être par tradition, plus sûrement parce que c’est pour lui le moyen de se situer, dans une histoire, dans un espace.